La
première chose dont a besoin un client ayant un problème, c’est contacter facilement
l’entreprise pour réclamer. L’objectif premier du traitement de l’insatisfaction
étant de sauvegarder la relation avec les clients mécontents, sa première
fonction est par conséquent de leur permettre de s’exprimer (voir cartographie du STIC).
Deux
chroniques seront consacrées à ce sous-processus opérationnel de Facilitation
des Réclamations. Ce premier article propose
de répondre à la question Pourquoi faciliter l’accessibilité pour les plaintes, en relatant 3 aspects :
1.
l’impact de la
Facilitation sur la rentabilité
2.
l’impact de la
Facilitation sur le comportement du client
3.
la démarche marketing
de la Facilitation.
La prochaine étude abordera le Comment en présentant les mesures de facilitation à mettre en place.
La Facilitation des Réclamations : investir en qualité pour augmenter le nombre de clients mécontents ?!
Un
jour, lors d'une présentation d’un projet de traitement des réclamations via le
Web j’ai indiqué que ce nouveau canal allait engendrer une hausse du volume des
plaintes par rapport au courrier. Un haut responsable de l’entreprise concernée
s’esclaffa alors : « C’est la
meilleure, on investit en qualité pour augmenter le nombre de clients mécontents ! ».
Graphe 1 : Iceberg des Insatisfactions (TARP) |
Cette
réaction est très courante car les gens lient intuitivement la variation du
volume de réclamations, qu’ils voient (réalité), à la variation du taux de satisfaction
des clients, qu’ils mesurent (abstraction). Il est fort probable que ce dirigeant, comme
beaucoup de ses semblables, croit que l’insatisfaction se limite aux 1 à 2% des
clients qui se plaignent par lettre (Cf. Graphe 1 : l’iceberg des
insatisfactions).
Or
cette corrélation ne peut être totalement vérifiée que si tous les clients
mécontents réclament, ce qui n’est pas le cas. Au contraire la majorité des clients
insatisfaits ne réclame pas. Depuis un demi-siècle** les études de
satisfaction des consommateurs montrent que :
- 40% des clients (tout
secteur confondu) connaissent une cause d’insatisfaction
- 60% des clients
ayant une raison d’insatisfaction ne réclament pas (25% de la base clients)
-
40% des clients mécontents qui ne réclament pas
quittent leurs fournisseurs (10% de la base clients)
- 30% des clients réclamants quittent leurs
fournisseurs (5% de la base clients).
Les
deux derniers chiffres révèlent que les clients réclamants sont plus fidèles
que les non-réclamants. Donc plus les clients expriment leur insatisfaction à
l’entreprise plus celle-ci les retient. Ce constat remet en cause la croyance
très répandue qu’une réduction du volume des plaintes équivaut systématiquement
à l’amélioration de la satisfaction. Augmenter
le nombre de clients réclamants n’augmente pas les causes d’insatisfaction.
D’autre
part la rentabilité de la rétention des clients mécontents est confirmée depuis
des décades par plusieurs études académiques, gouvernementales ou de grands
cabinets (A. O. Hirschman, PIMS***, TARP****, Accenture,
KPMG, Price Waterhouse, Mc Kinsey…). D’après la célèbre étude de Reichheld –
Bain & Co (The Loyalty Effect 1996) la rétention de 5% de clients améliore
la rentabilité de 25 à 125% selon les secteurs. Ainsi la fidélisation des
clients insatisfaits participe aussi à l’amélioration de la rentabilité (Cf.l’article à ce sujet).
Enfin
l’objectif de l’entreprise ne doit pas être de minimiser le taux de
réclamations mais de diminuer le taux de
clients insatisfaits. Comment peut-on le faire si on ne connaît pas les causes
des mécontentements et on ne les corrige
pas ? Comment peut-on connaitre ces raisons si les clients ne sont pas écoutés
et leurs plaintes analysées ? Pour cela l’entreprise doit avoir le plus
possible d’informations sur l’insatisfaction afin de développer un système
qualité pour l’amélioration continue et la
fidélisation des clients.
Cette
trilogie Satisfaction-Fidélisation-Rentabilité des clients impose ainsi à toute
organisation d’améliorer l’accessibilité au dépôt des réclamations.
Eliminer les barrières aux réclamations
La
majorité des clients mécontents ne se plaigne pas parce que la réclamation a un
cout et demande un effort. On peut regrouper les causes de ce silence en 3
types :
-
Le produit :
Moins l’achat a de valeur (monétaire ou non monétaire) moins les clients
réclament. Par exemple pour les biens
courants 80% des clients insatisfaits se tournent vers la concurrence sans
réclamer. Ils estiment le cout de la réclamation supérieur à la valeur de
l’achat et du préjudice subi.
- L’entreprise :
Le client se sent confronté à des barrières pour réclamer. Certains freins sont
réels et tangibles tels que les coûts engendrés par les réclamations (frais
d’envoi, de transport, de déplacement, de téléphone….), la difficulté de connaître
la procédure de réclamation, le manque de professionnalisme ou de compétence des
agents … D’autres sont des appréhensions dues à des expériences avec le
prestataire ou d’autres fournisseurs, à du bouche à oreille négatifs, à la peur
d’être à l’origine des sanctions contre les employés ou de représailles de ces
derniers…
-
Le Client :
Certains freins sont propres au client : le manque de temps, un problème
de langue pour un étranger… Le client peut aussi ne pas réclamer s’il
s’auto-attribue la cause de l’insatisfaction. Dans ce cas, il subit une
dissonance psychologique et il est vulnérable à tout discours qui le disculpe un
tant soit peu. La publicité de la concurrence ne se prive pas d’utiliser cette
brèche.
Pour
retenir ses clients mécontents, l’entreprise doit éliminer ces barrières en
diminuant les coûts monétaires, matériels, en temps et psychologiques. Elle
doit offrir à chaque segment de clients les canaux adéquats pour simplifier le
dépôt des plaintes et diminuer l’effort à fournir par le consommateur. C’est le
rôle du processus de Facilitation.
Les gens achètent plus facilement un produit si le prestataire les convainc qu’ils peuvent compter sur lui en cas de problème
A
chaque contact avec l’entreprise le client fait une évaluation des risques matériels
et immatériels qu’il encourt. Ses présomptions commencent dès la première
prospection et perdurent durant toute la relation. L’importance de cette
crainte dépend de la fréquence des contacts, des expériences vécues ainsi que
de la gravité des conséquences imaginées.
La
multiplication d’expériences sans incident améliore la confiance et diminue le
degré de risque perçu. Inversement, une expérience perçue comme insatisfaisante
augmente la perception du risque et diminue la confiance. L’éventualité de ne
pas obtenir gain de cause augmente encore plus l’anxiété chez le client qui
envisage de réclamer.
Ces
caractéristiques du comportement du consommateur montrent que le traitement de
l’insatisfaction est un besoin latent. Toute offre doit donc y répondre. La
promesse doit être explicite et inspirer confiance. Les gens achètent plus
facilement un produit si le prestataire les convainc qu’ils peuvent compter sur
lui en cas de problème. Certaines entreprises ont en fait une marque de
fabrique, comme Darty avec son « Contrat de confiance ».
Pour
les chaines de grande distribution, le remboursement ou l’échange sans
condition des articles retournés est un bon stimulus pour les achats impulsifs.
Le consommateur juge que la transaction est sans risque. Une importante chaine
de prêt-à-porter l’utilise même comme argument d’un meilleur service et en
profite pour désengorger ses cabines d’essayage. Elle propose aux clients
d’essayer les vêtements chez eux et de se faire rembourser dans n’importe
quelle boutique de la marque s’ils ne sont pas satisfaits.
Comme
le montre ces exemples, le traitement de l’insatisfaction doit être intégré
dans toute démarche marketing de création, modification et d’annulation des
offres de produits ou services. Chaque produit est à accompagner de
dispositions pour le traitement des problèmes susceptibles d’être rencontrés
par les clients. Cette politique doit être unique si les prestations offertes
sont homogènes. En cas d’offres différentes les modalités afférentes doivent
être cohérentes avec la politique affichée de l’entreprise.
D’autre
part, lorsqu’un client ne connait pas la procédure de plainte il s’adresse au
premier agent qu’il réussit à contacter en face-à-face, par téléphone, par
courrier, par e-mail, via les réseaux sociaux... Ainsi il peut entrer en
relation avec un vendeur, un secrétariat, un comptable, un juriste, un livreur,
un gardien, un agent de sécurité ou le personnel d’un sous-traitant. Toutes ces
personnes ne sont souvent pas compétentes pour lui trouver une solution.
Il
est nécessaire donc d’établir une cartographie des points de contact clients
potentiels et de définir pour chaque point son rôle dans le traitement des
réclamations. Du point de vue organisationnel, chaque entité doit avoir une
procédure qui sensibilise sur l’importance des réclamations et qui indique
comment traiter ou transférer une réclamation en interne. A défaut d’avoir
l’autonomie de recevoir ou de traiter la réclamation, tout le personnel doit
pouvoir au moins rassurer les clients mécontents et leur indiquer une façon simple
de déposer leurs doléances.
N’est-il
pas étonnant de voir comment est traitée une réclamation lorsqu’on connaît
quelqu’un (ou quelqu’un qui connaît quelqu’un) de l’entreprise. Ce dernier se
sent obligé de chercher la meilleure solution et les personnes adéquates pour
résoudre au mieux la plainte qui lui a été confiée. L’idéal est que chaque
agent soit mobilisé pour le dénouement de toute réclamation d’un « client
lambda » comme celle d’un proche ou d’une connaissance.
Intégrer
le traitement de l’insatisfaction au Produit,
minimiser le Prix des réclamations,
choisir les Places adéquates pour le
dépôt les plaintes, faire la Promotion
de la réceptivité des doléances par l’entreprise, on trouve bien là les 4P
d’une démarche marketing. La Facilitation est la fonction Marketing du STIC©, à
ce titre elle doit veiller au succès de ces quatre éléments qui influencent
fortement l’impact sur les clients. Il ne faut pas oublier aussi qu’une
démarche marketing n'est pas une activité isolée; elle intègre et s’intègre à
d'autres fonctions au sein de l’entreprise : RD, Production, Logistique,
RH, Finance…
Yassin
Simou
Notes
Les termes : entreprise, client et rentabilité,
sont utilisés dans leur sens le plus large d’organisation à but lucratif ou
non, usager ou citoyen… Les analyses et recommandations de cette étude peuvent être adaptées à différents contextes.
L’économiste Alfred O. Hirschman* a qui on doit le modèle du
comportement des clients « Exit, Voice and Loyalty » avait déjà
élargi sa théorie à des institutions diverses : partis politiques,
administrations, mariage, associations…
* Albert O.
Hirschman; Exit, Voice and Loyalty: Responses to decline in Firms,
Organizations and States; Harvard University Press; 1970
** Avec le succès du
mouvement consumériste, en 1964
a été créé, auprès du président des Etats-Unis, le poste
de conseiller pour les Affaires des Consommateurs. Cela a engendré le lancement
d’importants programmes d’études nationales et internationales sur la
satisfaction des consommateurs (PIMS, TARP…) ainsi que la mise en place d’index
nationaux de satisfaction des consommateurs (Suède 1989, US 1994, UK…).
*** PIMS :
Profit Impact of Marketing Strategies
**** TARP : Technical
Assistance Research Program
Liens intéressants:
http://www.complaintsmanagementexpert.com/cms/content/competing-your-customers-complaints
http://www.which.co.uk/news/2014/07/top-five-sectors-for-consumer-complaints-374568/
Retrouvez les articles relatifs au processus de Facilitation des Réclamations
· Pourquoi transformer l’insatisfaction en réclamations (publié)
· Comment transformer l’insatisfaction en réclamations
o 3 mesures pour transformer l’insatisfaction en réclamations (publié)
§ Le Choix des canaux proposés aux clients (publié)
§ 10 canaux pour réclamer : Etude comparative (publié)
§ La communication sur les facilités de dépôt des plaintes (publié)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire