mardi 5 août 2014

Gestion des Réclamations Clients : Pourquoi transformer l’insatisfaction en réclamations



La première chose dont a besoin un client ayant un problème, c’est contacter facilement l’entreprise pour réclamer. L’objectif premier du traitement de l’insatisfaction étant de sauvegarder la relation avec les clients mécontents, sa première fonction est par conséquent de leur permettre de s’exprimer (voir cartographie du STIC).


Deux chroniques seront consacrées à ce sous-processus opérationnel de Facilitation des Réclamations.  Ce premier article propose de répondre à la question Pourquoi faciliter l’accessibilité pour les plaintes, en relatant 3 aspects :

1.      l’impact de la Facilitation sur la rentabilité
2.      l’impact de la Facilitation sur le comportement du client
3.      la démarche marketing de la Facilitation.

La prochaine étude abordera le Comment en présentant les mesures de facilitation à mettre en place.

La Facilitation des Réclamations : investir en qualité pour augmenter le nombre de clients mécontents ?!


Un jour, lors d'une présentation d’un projet de traitement des réclamations via le Web j’ai indiqué que ce nouveau canal allait engendrer une hausse du volume des plaintes par rapport au courrier. Un haut responsable de l’entreprise concernée s’esclaffa alors : « C’est la meilleure, on investit en qualité pour augmenter le nombre de clients mécontents ! ».

Graphe 1 : Iceberg des Insatisfactions (TARP)
Cette réaction est très courante car les gens lient intuitivement la variation du volume de réclamations, qu’ils voient (réalité), à la variation du taux de satisfaction des clients, qu’ils mesurent (abstraction). Il est fort probable que ce dirigeant, comme beaucoup de ses semblables, croit que l’insatisfaction se limite aux 1 à 2% des clients qui se plaignent par lettre (Cf. Graphe 1 : l’iceberg des insatisfactions). 

Or cette corrélation ne peut être totalement vérifiée que si tous les clients mécontents réclament, ce qui n’est pas le cas. Au contraire la majorité des clients insatisfaits ne réclame pas. Depuis un demi-siècle** les études de satisfaction des consommateurs montrent que :

-      40% des clients (tout secteur confondu) connaissent une cause d’insatisfaction
-    60% des clients ayant une raison d’insatisfaction ne réclament pas (25% de la base clients)
-      40%  des clients mécontents qui ne réclament pas quittent leurs fournisseurs (10% de la base clients)
-      30%  des clients réclamants quittent leurs fournisseurs (5% de la base clients).

Les deux derniers chiffres révèlent que les clients réclamants sont plus fidèles que les non-réclamants. Donc plus les clients expriment leur insatisfaction à l’entreprise plus celle-ci les retient. Ce constat remet en cause la croyance très répandue qu’une réduction du volume des plaintes équivaut systématiquement à l’amélioration de la satisfaction. Augmenter le nombre de clients réclamants n’augmente pas les causes d’insatisfaction.

D’autre part la rentabilité de la rétention des clients mécontents est confirmée depuis des décades par plusieurs études académiques, gouvernementales ou de grands cabinets (A. O. Hirschman, PIMS***, TARP****, Accenture, KPMG, Price Waterhouse, Mc Kinsey…). D’après la célèbre étude de Reichheld – Bain & Co (The Loyalty Effect 1996) la rétention de 5% de clients améliore la rentabilité de 25 à 125% selon les secteurs. Ainsi la fidélisation des clients insatisfaits participe aussi à l’amélioration de la rentabilité (Cf.l’article à ce sujet).

Enfin l’objectif de l’entreprise ne doit pas être de minimiser le taux de réclamations  mais de diminuer le taux de clients insatisfaits. Comment peut-on le faire si on ne connaît pas les causes des  mécontentements  et on ne les corrige pas ? Comment peut-on connaitre ces raisons si les clients ne sont pas écoutés et leurs plaintes analysées ? Pour cela l’entreprise doit avoir le plus possible d’informations sur l’insatisfaction afin de développer un système qualité  pour l’amélioration continue et la fidélisation des clients.

Cette trilogie Satisfaction-Fidélisation-Rentabilité des clients impose ainsi à toute organisation d’améliorer l’accessibilité au dépôt des réclamations.

Eliminer les barrières aux réclamations

La majorité des clients mécontents ne se plaigne pas parce que la réclamation a un cout et demande un effort. On peut regrouper les causes de ce silence en 3 types :

-       Le produit : Moins l’achat a de valeur (monétaire ou non monétaire) moins les clients réclament. Par exemple pour les  biens courants 80% des clients insatisfaits se tournent vers la concurrence sans réclamer. Ils estiment le cout de la réclamation supérieur à la valeur de l’achat et du préjudice subi.

-    L’entreprise : Le client se sent confronté à des barrières pour réclamer. Certains freins sont réels et tangibles tels que les coûts engendrés par les réclamations (frais d’envoi, de transport, de déplacement, de téléphone….), la difficulté de connaître la procédure de réclamation, le manque de professionnalisme ou de compétence des agents … D’autres sont des appréhensions dues à des expériences avec le prestataire ou d’autres fournisseurs, à du bouche à oreille négatifs, à la peur d’être à l’origine des sanctions contre les employés ou de représailles de ces derniers…

-        Le Client : Certains freins sont propres au client : le manque de temps, un problème de langue pour un étranger… Le client peut aussi ne pas réclamer s’il s’auto-attribue la cause de l’insatisfaction. Dans ce cas, il subit une dissonance psychologique et il est vulnérable à tout discours qui le disculpe un tant soit peu. La publicité de la concurrence ne se prive pas d’utiliser cette brèche.

Pour retenir ses clients mécontents, l’entreprise doit éliminer ces barrières en diminuant les coûts monétaires, matériels, en temps et psychologiques. Elle doit offrir à chaque segment de clients les canaux adéquats pour simplifier le dépôt des plaintes et diminuer l’effort à fournir par le consommateur. C’est le rôle du processus de Facilitation.

Les gens achètent plus facilement un produit si le prestataire les convainc qu’ils peuvent compter sur lui en cas de problème

A chaque contact avec l’entreprise le client fait une évaluation des risques matériels et immatériels qu’il encourt. Ses présomptions commencent dès la première prospection et perdurent durant toute la relation. L’importance de cette crainte dépend de la fréquence des contacts, des expériences vécues ainsi que de la gravité des conséquences imaginées.

La multiplication d’expériences sans incident améliore la confiance et diminue le degré de risque perçu. Inversement, une expérience perçue comme insatisfaisante augmente la perception du risque et diminue la confiance. L’éventualité de ne pas obtenir gain de cause augmente encore plus l’anxiété chez le client qui envisage de réclamer.

Ces caractéristiques du comportement du consommateur montrent que le traitement de l’insatisfaction est un besoin latent. Toute offre doit donc y répondre. La promesse doit être explicite et inspirer confiance. Les gens achètent plus facilement un produit si le prestataire les convainc qu’ils peuvent compter sur lui en cas de problème. Certaines entreprises ont en fait une marque de fabrique, comme Darty avec son « Contrat de confiance ».

Pour les chaines de grande distribution, le remboursement ou l’échange sans condition des articles retournés est un bon stimulus pour les achats impulsifs. Le consommateur juge que la transaction est sans risque. Une importante chaine de prêt-à-porter l’utilise même comme argument d’un meilleur service et en profite pour désengorger ses cabines d’essayage. Elle propose aux clients d’essayer les vêtements chez eux et de se faire rembourser dans n’importe quelle boutique de la marque s’ils ne sont pas satisfaits.

Comme le montre ces exemples, le traitement de l’insatisfaction doit être intégré dans toute démarche marketing de création, modification et d’annulation des offres de produits ou services. Chaque produit est à accompagner de dispositions pour le traitement des problèmes susceptibles d’être rencontrés par les clients. Cette politique doit être unique si les prestations offertes sont homogènes. En cas d’offres différentes les modalités afférentes doivent être cohérentes avec la politique affichée de l’entreprise.

D’autre part, lorsqu’un client ne connait pas la procédure de plainte il s’adresse au premier agent qu’il réussit à contacter en face-à-face, par téléphone, par courrier, par e-mail, via les réseaux sociaux... Ainsi il peut entrer en relation avec un vendeur, un secrétariat, un comptable, un juriste, un livreur, un gardien, un agent de sécurité ou le personnel d’un sous-traitant. Toutes ces personnes ne sont souvent pas compétentes pour lui trouver une solution.

Il est nécessaire donc d’établir une cartographie des points de contact clients potentiels et de définir pour chaque point son rôle dans le traitement des réclamations. Du point de vue organisationnel, chaque entité doit avoir une procédure qui sensibilise sur l’importance des réclamations et qui indique comment traiter ou transférer une réclamation en interne. A défaut d’avoir l’autonomie de recevoir ou de traiter la réclamation, tout le personnel doit pouvoir au moins rassurer les clients mécontents et leur indiquer une façon simple de déposer leurs doléances.

N’est-il pas étonnant de voir comment est traitée une réclamation lorsqu’on connaît quelqu’un (ou quelqu’un qui connaît quelqu’un) de l’entreprise. Ce dernier se sent obligé de chercher la meilleure solution et les personnes adéquates pour résoudre au mieux la plainte qui lui a été confiée. L’idéal est que chaque agent soit mobilisé pour le dénouement de toute réclamation d’un « client lambda » comme celle d’un proche ou d’une connaissance.

Intégrer le traitement de l’insatisfaction au Produit, minimiser le Prix des réclamations, choisir les Places adéquates pour le dépôt les plaintes, faire la Promotion de la réceptivité des doléances par l’entreprise, on trouve bien là les 4P d’une démarche marketing. La Facilitation est la fonction Marketing du STIC©, à ce titre elle doit veiller au succès de ces quatre éléments qui influencent fortement l’impact sur les clients. Il ne faut pas oublier aussi qu’une démarche marketing n'est pas une activité isolée; elle intègre et s’intègre à d'autres fonctions au sein de l’entreprise : RD, Production, Logistique, RH, Finance…

Yassin Simou

Notes

Les termes : entreprise, client et rentabilité, sont utilisés dans leur sens le plus large d’organisation à but lucratif ou non, usager ou citoyen… Les analyses et recommandations de cette étude  peuvent être adaptées à différents contextes. L’économiste Alfred O. Hirschman* a qui on doit le modèle du comportement des clients « Exit, Voice and Loyalty » avait déjà élargi sa théorie à des institutions diverses : partis politiques, administrations, mariage, associations…

* Albert O. Hirschman; Exit, Voice and Loyalty: Responses to decline in Firms, Organizations and States; Harvard University Press; 1970

** Avec le succès du mouvement consumériste, en 1964 a été créé, auprès du président des Etats-Unis, le poste de conseiller pour les Affaires des Consommateurs. Cela a engendré le lancement d’importants programmes d’études nationales et internationales sur la satisfaction des consommateurs (PIMS, TARP…) ainsi que la mise en place d’index nationaux de satisfaction des consommateurs (Suède 1989, US 1994, UK…).

*** PIMS : Profit Impact of Marketing Strategies

**** TARP : Technical Assistance Research Program


Liens intéressants:

http://www.complaintsmanagementexpert.com/cms/content/competing-your-customers-complaints

http://www.which.co.uk/news/2014/07/top-five-sectors-for-consumer-complaints-374568/


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·         Comment transformer l’insatisfaction en réclamations
o       3 mesures pour transformer l’insatisfaction en réclamations (publié)
§         Le Choix des canaux proposés aux clients (publié)
§         10 canaux pour réclamer : Etude comparative (publié)
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